Hervé Leferrer, un Breton à la barre du domaine

Hervé Leferrer est un menhir, un cairn, un alignement de Carnac à lui tout seul. Ou un arbre séculaire de Brocéliande, un récif d’Armor, un calvaire battu par les vents. Un Breton, en somme, au visage taillé à la serpe et aux yeux minéraux. Il n’est pas toujours commode, sans doute, mais c’est qu’il est droit, et qu’il aime la droiture chez les autres. Il ne vous accordera pas sa confiance dans l’instant, non, mais lorsqu’elle vous sera acquise, vous verrez le sourire d’Hervé s’élargir, et ce sera comme une éclaircie dans un ciel encombré.

Cap sur les Corbières

Le Breton s’expatrie en Bourgogne, d’abord, où il devient tout simplement le régisseur du divin domaine de la Romanée-Conti. Il y affine son savoir extraordinaire jusqu’à le pousser à la perfection. Plus tard, il reprend son bâton de pèlerin et s’installe avec Pascaline, sa femme, au sommet d’une colline des Corbières, où le soleil et le vent le font se sentir comme perché au haut d’un grand mât. Il a fallu enlever les cailloux, débroussailler, préparer la terre aride, un travail de forçat, toute la famille s’y est mise, pierre à pierre. Le Domaine du Grand Crès était là.

La pérennité du domaine est assurée puisque Camille, la fille de Pascaline et d’Hervé, qui a parcouru les chemins escarpés de la colline durant toute son enfance, a récemment rejoint l’exploitation. A 400m d’altitude, il fait plus frais, et les vins s’en ressentent. Ils ont tous un air de Bourgogne, les vins d’Hervé, c’est une évidence, une délicatesse, une finesse peu commune dans ce coin du Languedoc.

La force du terroir et le talent d’une famille

Dès l’entrée de gamme, le Cabernet du Grand Crès, en vin de pays, nous réjouit. C’est un pur plaisir. Des fruits rouges frais, très souple et facile, mais avec du caractère. Ce n’est pas un machin internationalisant et interchangeable, non, il est bien de son terroir et se boit sans complexe. A découvrir aussi, le corbières « Crescendo », mélange de roussanne et de viognier. Ce blanc aromatique et gras, avec de jolis amers,  sera parfait avec des poissons nobles ou une belle volaille. Mais tout le talent de la famille Leferrer éclate sur le fameux corbières « Cuvée Majeure du Grand Crès ». Une syrah prépondérante qui rappelle les plus grandes bouteilles du Rhône, quand celles-ci justement se parent d’attributs bourguignons. La « Cuvée Majeure » est l’un des plus beaux rapports prix-plaisir de la cave, une merveille, élégante, déliée, un jus racé et interminable, d’une classe folle. Il n’est pas interdit de la faire vieillir une dizaine d’années, elle n’en sera que meilleure encore. Mais l’apothéose, le grand du Grand, c’est « Cressaia ». Clin d’œil ironique à l’iconique « Sassicaia », le simple vin de France « Cressaia » est un assemblage des meilleurs raisins de l’année, quand le millésime le permet. Sa composition varie donc de vendange en vendange, mais le vin est toujours exceptionnel, de la race des plus grands. Son amplitude est majestueuse, sa longueur phénoménale, sa complexité infinie. Mais surtout, c’est une cuvée d’émotion. Dès le premier nez, dès la première gorgée, c’est un monde fascinant qui vous envahit, vous emplit d’émerveillement. Il y a un peu de mystique en « Cressaia » et il est certain qu’elle élève l’âme.